En présence de George Pau-Langevin, ministre déléguée chargée de la
réussite éducative, et d'un panel de spécialistes issus des milieux
associatifs, éducatifs et scolaires contributeurs de son ouvrage, Guillaume
Balas, président du groupe socialiste au Conseil régional d'Ile de France a
présenté vendredi 22 juin, dans les locaux de la Fondation Jaurès à Paris, son
étude « Lutter contre le décrochage scolaire – Vers une nouvelle action
publique régionale ». Plutôt que les tentatives de remédiation interne à
l'institution, il préconise le pilotage régional des dispositifs d'aide contre
l'échec scolaire. Contre ce symptôme social alarmant, il défend l'idée d'un
renforcement du réseau éducatif associatif et territorial sous l'égide des
conseils régionaux.
Un déterminisme social plus puissant que les responsabilités personnelles
Question
de conviction, affirme Guillaume Balas : il faut admettre que le déterminisme
social est plus puissant que les responsabilités personnelles, que l'égalité
des chances est un leurre dans le domaine scolaire, et que sous prétexte de secourir
au compte-goutte de « pauvres gens » victimes d'une collection de malchances,
on dissimule le refus de prendre en charge un processus social lourdement
discriminant. Les chiffres PISA, précise-t-il, indiquent clairement la baisse
du taux de scolarisation en France ces dernières années, à rebours du mouvement
mondial. Ce n'est pas un signe anodin : ce dysfonctionnement aggravé du système
éducatif a un sens politique, « il faut cesser d'en tenir l'école pour seule
responsable et seule source de remédiation à l'interne ».
Un problème de réseau éducatif qui dépasse l’Éducation nationale
A
trop faire peser sur l’Éducation nationale, ses méthodes, ses pédagogies, son
budget, son organisation, etc., la responsabilité exclusive des décrochages
scolaires, on perd de vue la nécessité d'une stratégie d'ensemble des
pouvoirs publics dit Guillaume Balas, qui est aussi enseignant
d'histoire-géographie. Constituer, évaluer et piloter un réseau serré de
compétences éducatives autour de l'école, à travers les collectivités locales
et le tissu associatif, c'est la condition pour accompagner efficacement
l'institution et la rendre à ses missions premières. La Région serait le
meilleur niveau de coordination de cette action : plus structurant que le
terrain, moins distant que l’État, l'échelon régional est parfaitement adapté
au pilotage d'ensemble, estime Guillaume Balas. Trois axes seraient à
privilégier pour redéfinir les fonctions et les rôles : l'aide aux élèves
(comme personne prise dans son ensemble), l'aide à la parentalité (l'interface
avec l'école reste encore balbutiante), la multiplication des structures de «
raccrochage » (à partir du réseau associatif).
Décrochage à tous niveaux, dans tous les milieux
Catherine
Blaya, spécialiste du décrochage scolaire, rappelle quelques données
typologiques : un comportement scolaire inadapté ou absentéiste, qui suscite de
nombreuses sanctions et conduit à l'isolement et à la marginalisation ; le
manque d'intérêt scolaire, plus discret, souvent lié à une mauvaise image de
l'école, à un manque de projet et un sentiment d'ennui peuvent aussi
caractériser le décrochage. Plus silencieux encore, les « comportements
déviants cachés » désignent une attitude négative peu perceptible sous une
intégration apparente, qui dissimule la réticence ou le refus scolaire. Les
élèves de type dépressif, enfin, éprouvent des difficultés de communication et
d'expression, sont mal intégrés, souvent victimes mais aussi déviants, avec de
faibles aspirations scolaires et le besoin d'un suivi spécifique. Si les causes
sont multiples et les facteurs croisés, il serait trompeur d'assimiler le
phénomène de décrochage à un niveau scolaire ou à un milieu social désigné,
précise Catherine Blaya. D'où la nécessité de prises en charge inter-institutionnelles,
et pas seulement scolaires ou sociales, avec un partenariat réel entre les
structures intervenantes, avec une reconnaissance réciproque et des ressources
égales, mais aussi avec une instance de pilotage proche du terrain.
G. Pau-Langevin : « Pourquoi certains traversent-ils le système scolaire
sans en retirer ce qu'il faut ? »
Malgré
la volonté des enseignants de les faire progresser, des parents de les faire
s'intégrer, certains élèves passent à travers le processus de scolarisation
sans profit. Signe qu'il faut repenser les dispositifs existants, estime George
Pau-Langevin, ministre de la réussite éducative : ces dispositifs doivent être
évalués et reconsidérés rapidement, en vue de la loi d'orientation prévue pour
novembre 2012 afin d'être applicables à la rentrée 2013. La ministre est
favorable à un rapprochement entre les institutions d’État, les collectivités
territoriales et le réseau associatif, qui sera rendu nécessaire de toute façon
par les modifications du temps scolaire et le développement d'un temps éducatif
non scolaire. Autre point sensible, l'orientation, vécue comme une humiliation
par beaucoup d'élèves et parfois comme « un coup de canif dans le pacte social
», sur lequel il faudra travailler en se démarquant du recours massif à la
pré-professionnalisation voulue par le gouvernement précédent, sans toutefois
ruiner la voie de l'apprentissage. Force est de constater, déplore la ministre,
que les inégalités de départ sont aggravées par le temps de la scolarité ; il
faut lutter cette situation et s'efforcer aussi de garantir une meilleure
sortie de la scolarité, en termes d'emploi.
Zones rurales, quartiers urbains : des difficultés très différentes
Les
interventions des participants mettent en évidence la complexité paradoxale du
problème du décrochage : Marie Richard, chargée de l'éducation au Conseil
Général de Seine-et-Marne et maire de la Ferté sous Jouarre, évoque le problème
des secteurs ruraux, alourdi par la diminution du nombre d'enseignants, la
désertification médicale, la raréfaction des RASED, mais aussi le manque de
modèles de réussite scolaire et la méconnaissance de la réalité du monde du
travail. A l'inverse, les représentantes de l'APCIS (association pour la
promotion culturelle et inter-communautaire stanoise, 93) disent les obstacles
des quartiers urbains : exigüité des locaux et densification des populations
scolaires (collèges à plus de 600 élèves écoles primaires à 25 classes pour
publics en difficulté) sur fond de trafics de drogues et de retours au pays qui
brisent la scolarité de certains jeunes gens. Nassirah Mohammad, psychologue au
LEP Henri Matisse (78) rappelle l'importance de médiations inter-culturelles
pour intégrer les familles à la réussite scolaire des enfants ; Eric de
Saint-Denis, enseignant éducateur en micro-lycée, stigmatise le recrutement
disciplinaire et le manque de formation continue des enseignants qui ne se
sentent pas destinés à un rôle d'éducateur.
Réformer
l'institution scolaire, mettre en cause ses limites et ses échecs, conclut Guillaume
Balas, revient toujours à parier sur une solution interne au système scolaire.
C'est peut-être une condition nécessaire, ce n'est certainement pas une
condition suffisante, estime-t-il : on ne sortira de l'impasse qu'en
s'adressant plus largement au réseau éducatif social. Mais à entendre les
représentants des différentes instances institutionnelles, associatives,
politiques et sociales, on devine combien, malgré la bonne volonté de tous,
la mutualisation des compétences et des responsabilités et la mise en
place d'un pilotage commun sont encore loin d'être gagnés.
Jeanne-Claire Fumet
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