jeudi 21 juin 2012

Même les émotions négatives aident à l'apprentissage


Lévitation ? Pas vraiment. C’est par la concentration que Claude Frasson parvient à soulever cette balle, mais grâce à l’intermédiaire d’un amplificateur et d’un récepteur d’ondes bêtas émises au cours de l’activité neuronale.
Par sa seule concentration, Claude Frasson parvient à faire léviter une petite balle de styromousse placée à un mètre et demi devant lui: plus il se concentre, plus la balle s'élève, soulevée par un léger jet d'air. Il réussit même à en orienter le déplacement sur un parcours semé d'embuches. Mais, pour y arriver, il a mis un casque qui amplifie ses ondes cérébrales et les dirige vers un récepteur programmé pour répondre aux ondes caractéristiques de la concentration, soit les ondes bêtas.

«Cet appareil sert à exercer sa concentration et ainsi à atténuer son stress», dit le professeur du Département d'informatique et de recherche opérationnelle. L'appareil en question pourrait donc aider les personnes dont le niveau d'anxiété freine l'apprentissage ou ferme l'accès à l'information apprise.
«En situation de stress, poursuit Claude Frasson, le système réticulaire se bloque: l'hippocampe, qui est la zone de la mémoire, ne reçoit plus les émotions de l'amygdale et nous ne pouvons plus accéder au contenu de notre mémoire. C'est ce qui peut expliquer le trou de mémoire à un examen stressant même lorsqu'on a bien étudié.»
Pour le chercheur, si les émotions sont la clé qui donne accès à la mémoire, c'est aussi dire qu'elles sont essentielles à l'apprentissage. «On ne peut apprendre sans émotions, qu'elles soient positives ou négatives, affirme-t-il. Ce sont elles qui impriment les évènements dans notre mémoire.»
Les travaux du professeur Frasson en intelligence artificielle visent à élaborer des systèmes tutoriels intelligents qui intègrent la dimension émotionnelle de l'apprentissage. Son équipe interuniversitaire, réunie au sein du laboratoire HERON (Higher Educational Research on Tutoring Systems), est reconnue comme l'une des pionnières dans le domaine.
En situation de stress, l’étudiant éprouve généralement plus de difficulté à accéder au contenu de sa mémoire.

Joie, peur et colère
Si les émotions favorisent l'apprentissage, il y a lieu de se demander lesquelles sont les plus propices à cette fonction. C'est ce qu'a cherché à savoir Ramla Ghali dans ses travaux de maitrise dirigés par le professeur Frasson.
Avec un tutoriel d'apprentissage d'une langue seconde pouvant susciter des émotions de joie, de peur et de colère, elle a mesuré l'amélioration obtenue dans l'apprentissage du vocabulaire en fonction de chacune de ces émotions induites. L'expérience a été réalisée auprès d'un groupe d'une quarantaine d'élèves âgés de six à huit ans dont un groupe témoin qui n'a été soumis à aucun stimulus émotionnel.
Chez le groupe témoin, les mesures d'apprentissage montrent une amélioration de l'ordre de 2 par rapport au prétest alors qu'elle atteint une moyenne de 4 pour les élèves chez qui on a induit des émotions. Mais, contrairement à ce qui était attendu, il y a eu une amélioration de l'apprentissage quelle que soit l'émotion engendrée. Même la peur et la colère, provoquées à faible intensité par une voix autoritaire et de la musique appropriée, ont donné de meilleurs résultats qu'une absence d'émotion!
L'étudiante a aussi classé les élèves en trois catégories selon le type de tempérament révélé par des tests de mesure comportementale afin d'observer quelle stratégie émotionnelle convenait le mieux à chacun des types. Les résultats montrent que la stratégie la plus efficace est celle de la peur contrôlée pour les élèves au tempérament résilient (intelligents et sans trouble du comportement), celle de la joie pour les enfants plus réservés et qui ont tendance à intérioriser les problèmes, et celle de la colère pour ceux qui présentent des troubles extériorisés du comportement.
C'est la peur qui s'est avérée l'émotion la plus efficace, avec un indice d'amélioration de l'apprentissage de 4,6.

Apprendre à apprendre
«Selon que les enfants sont délicats ou agressifs, les stratégies d'apprentissage ne doivent pas être les mêmes, souligne Claude Frasson. La peur contrôlée fonctionne avec des enfants résilients parce qu'il faut parfois les réveiller et les mettre en mode bêta moins. Si l'enfant est déjà excité, la peur va produire du stress et des ondes bêtas plus, ce qui bloquera l'apprentissage.» Avec l'enfant plus réservé, la joie et le renforcement positif seront suffisants pour motiver son désir d'apprendre.
«Notre approche permet d'apprendre à l'enfant comment bien apprendre grâce à la maitrise de ses ondes cérébrales, mentionne le chercheur. Cette méthode pourrait être utile à tous les enfants et plus particulièrement à ceux qui ont un déficit d'attention.»
Ces travaux ont été présentés au colloque «Technologies de l'information et de la communication pour l'enseignement», tenu à l'Université de Nancy en décembre dernier. La communication de Ramla Ghali s'est classée première dans sa catégorie.

Daniel Baril


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