vendredi 22 juin 2012

Les jeux vidéo, des machines à apprendre

James Paul Gee[1] a commencé sa présentation en soulignant que si vous n’avez jamais entendu parlé d’Half-Life c’est que vous devez vivre sur une île dans un autre espace temps. Dans une autre présentation, Jean-Paul Pelletier d’Ubisoft a indiqué que 147 millions de consoles de jeu de dernières génération ont été vendues dans le monde sans compter les ordinateurs personnels utilisés à des fins de divertissement. En tout, entre 1996 et 2002, 1,3 milliard de jeux ont été vendus.

Pourtant, faire en sorte que les jeunes s’approprient les jeux vidéos ou les jeux informatiques est un challenge aussi difficile que de leur demander de s’approprier une formation… Sans compter qu’en plus, dans le cas du jeu, il faut payer. Les jeux vidéos sont longs et complexes. Ils permettent d’apprendre des comportements complexes. Pourtant ils doivent être simple à apprendre même si parallèlement les jeunes demandent que le jeu lui-même soit difficile.

Mais les jeux ont une approche radicalement différente et se rapprochent en cela de l’esprit humain. L’école traditionnelle est basée sur le paradigme du contenu. Si vous comprenez 10 faits en biologie, alors vous pouvez réussir votre examen. Dans le jeu, au contraire, c’est l’expérience qui prime. L’évaluation devrait se faire non pas sur combien de contenus vous avez assimilés mais plutôt combien d’expérience vous avez accumulée. Mais James Paul Gee détaille plus particulièrement deux grandes différences pour souligner combien le jeu est supérieur dans l’apprentissage aux méthodes traditionnelles. La première est due à la façon qu’à le jeu de redonner le pouvoir à l’utilisateur dans plusieurs domaines, la seconde est dans l’approche utilisée pour la résolution des problèmes.

Le pouvoir à l’utilisateur

Il y a quatre points sur lesquels l’utilisateur reprend le pouvoir dans un jeu : 

1. Tout d’abord, l’utilisateur est un codéveloppeur du jeu . “Rien ne se passera tant que vous ne ferez rien et les choix que vous ferez changeront le jeu”. C’est l’inverse de ce qui se passe dans une classe traditionnelle, qui se déroulera pratiquement normalement, sans que vous n’ayez rien à faire. 

2. Ensuite, le joueur peut personnaliser ce qu’il veut : les personnages, les voitures ou un skate board et même les paysages. A l’école, par contre, il n’est pas possible de personnaliser son propre programme d’étude. 

3. Le troisième point à trait à l’identité. Un apprentissage ne peut se faire indépendamment de la question de l’identité (et de l’identification). Ainsi dans un jeu, par exemple, vous prenez l’identité d’un scientifique pour en vivre l’expérience. 

4. Enfin, la manipulation est cruciale. Le corps et l’esprit sont étendus dans le jeu lui-même pour permettre à l’utilisateur d’agir, de manipuler des objets… Jusqu’à quel niveau l’école permet également de manipuler directement les objets appris ? C’est le cas par exemple dans les travaux pratiques, mais très limité dans les cours traditionnels. A l’inverse, le jeu en ligne permet une immersion de l’utilisateur.

La résolution de problèmes

Les approches de résolution de problèmes sont également très différentes dans le jeu vidéo par rapport à l’apprentissage traditionnel :

1. Les problèmes sont bien structurés : Les joueurs attendent plus que de belles images et ils apprennent en s’immergeant. Mais les problèmes abordés doivent être structurés pour que les hypothèses utilisées dans la résolution d’un problème puisse servir plus tard pour d’autres problèmes. 

2. Le jeu est “plaisamment frustrant” : Le problème doit être difficile mais faisable. Plutôt que d’avoir un problème trop facile ou trop difficile, un jeu est itératif : chaque étape est juste un petit peu plus difficile que la précédante. 

3. En passant par différents niveaux de jeu, le joueur passe par des “cycles d’expertise” : Le joueur doit compléter un niveau avant de passer au suivant. Il devient alors un “expert” à ce niveau. Mais ce qui marche dans un niveau de jeu ne fonctionne pas forcément dans le niveau suivant. Il faut ajouter à ce que l’on a appris des savoir-faire supplémentaires pour progresser vers des expertises de plus en plus complexes. 

4. L’information arrive “juste à temps” : Avoir toute l’information disponible à la demande abouti à se trouver noyé. Les joueurs ne lisent pas les manuels de leur jeu, ils seraient vite perdu. Au contraire, les informations arrivent progressivement dans le jeu au fur et à mesure de leur besoin. L’information est ainsi rassemblée par petit groupe et immédiatement utilisée. Au bout de quelques heures de jeu, on a acquis une véritable expérience. 

5. Un jeu vidéo ressemble à un aquarium. Dans un bocal à poisson, il n’y a pas une véritable barrière de corail mais une simulation simplifiée. De la même façon, dans les jeux, les situations sont simplifiées et permettent de comprendre les interactions entre un nombre limité de variables. Au fur et à mesure que l’on progresse dans le jeu, les situations deviennent de plus en plus complexes et se rapprochent des situations réelles. C’est une façon bien plus efficace d’apprendre. 


6. Un jeu vidéo est également comme un bac à sable. Un terrain ou on peut agir comme dans le monde réel mais de façon sécurisée. Dans le jeu, il n’y a pas de conséquences majeures aux choix. Cela se passe comme un “moratoire psycho-social” pour permettre à chacun de faire ses propres expériences avant d’affronter des défis réels. 

7. Enfin l’acquisition de savoir-faire par l’expérience devient la stratégie d’apprentissage. Les enfants font face à des situations complexes dans leurs jeux. Au fur et à mesure de leur progression, ils attendent des situations plus complexes.

Et pour l’école ?

La situation de l’école à changé : elle doit faire face aujourd’hui à une véritable concurrence (le jeu, mais aussi la télévision, l’internet, l’échange entre copains..). Il est important qu’ils retrouvent à l’école une réponse à leurs attentes. Dans un autre atelier, Mario Asselin, directeur de l’institut St Joseph à Québec, indiquait que dans sa jeunesse une des motivations d’aller à l’école était de pouvoir y trouver des moyens qu’il n’avait pas à la maison (des équipements sportifs, des livres, etc.). Aujourd’hui ce n’est plus le cas, les enfants ont beaucoup de choses à la maison (la télévision, parfois l’internet…). La question de la motivation est fondamentale.

Bien que les joueurs pensent parfois que leur activité n’a rien a voir avec l’apprentissage, ils apprennent certains comportements. Dans quelle mesure, certains éléments utilisés dans les jeux vidéo pourraient-ils être utilisés ? Il ne s’agit pas du jeu lui-même mais plutôt de certains principes présentés plus hauts qui sont utilisés dans les jeux vidéos. James Gee explique que si l’école n’est pas motivante, c’est qu’elle a abandonnée ces principes.

Par Jean-MIchel Cornu




[1] James Paul Gee est l’auteur du livre What Video games Have to Teach us About Learning and Literacy (Que peuvent nous apprendre les jeux vidéos sur l’apprentissage et l’instruction). Il est professeur à l’université de Wisconsin à Madison et a dirigé de nombreuses publications dans les domaines de la linguistique appliquée, de l’analyse du discours et de l’éducation.

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