samedi 29 septembre 2012

Face à la violence scolaire, l'éducation ?


Dans son article publié sur le Huffington Post et intitulé « Face à la violence scolaire, la pédagogie ? »[1], Béatrice Mabilon-Bonfils (sociologue à l’Université de Cergy-Pontoise) se propose, en réaction aux nombreux cas d’agressions recensés en ce début d’année scolaire, de répondre aux questions suivantes : « peut-on penser les violences scolaires sans questionner à la fois les inégalités scolaires (sociales, sexuelles, ethniques, culturelles) ? Peut-on penser les violences scolaires sans questionner les modalités de transmission des savoirs et de relations à l'autre que notre école valorise par son fonctionnement même ? »

Au sein de l’analyse que cette professeure d’Université apporte, l’accent est mis sur le paradoxe au cœur duquel l’Ecole est embourbée, de par le pilotage administratif même auquel elle est soumise. En effet, alors que les programmes scolaires visent à faire acquérir aux élèves « la solidarité, l'entraide, l'égalité, la coopération, l'intérêt général, l'acceptation de l'Autre », le pilotage libéral et « évaluationniste » de l’Ecole pousse les enseignants à utiliser la compétition individuelle, à encourager la réussite individuelle, à pratiquer l'évaluation à outrance, à hiérarchiser les élèves, les séries, les établissements, à accepter la ségrégation, parfois l'humiliation, le rejet de l'altérité. Il est ainsi évident qu’un milieu dans lequel on incite à la violence morale et psychologique contre l’Autre ne peut que favoriser, à terme, l’explosion de violence physique à laquelle on assiste en ce moment. Cela concerne d’ailleurs autant l’enseignant que ses élèves. On retrouve ce constat dans l’article du Nouvel Observateur intitulé « L'école française, une "fabrique de défiance" ? [2]» (Patrick Fauconnier). Il est notamment dit que « l’école française est une machine à trier, classer et diviser, ce qui en fait un milieu anxiogène où l’élève a sans cesse peur de ne pas être à la hauteur par rapport aux autres. Au sein des 40 pays de l’OCDE, c’est en France que les élèves se sentent le moins « chez eux » à l’école. » Comment pourrait-il en être autrement alors que les enseignants eux-mêmes, de peur de ne pas être à la hauteur des attentes de leurs supérieurs hiérarchiques, se sentent mal-à-l’aise dans leur milieu professionnel, pris dans le paradoxe d’une envie d’innover, de pratiquer des pédagogies incitant au travail de groupe, de coopération, de prise en compte des individualités, d’une part, se heurtant à la réalité administrative, d’autre part : respecter le carcan imposé par les inspections, ne pas sortir du cadre des programmes scolaires, etc. Il est donc vrai que cette pression qui pèse sur les enseignants se répercute inéluctablement sur leurs élèves, conduisant les plus fragiles, scolairement parlant, à être mis en marge du système. De là, les dérives que l’on connaît, et qui font tristement la une des journaux ces derniers temps, deviennent possible. Aurait-on envie de faire violemment part de sa colère dans un système au sein duquel on se sent bien, au sein duquel on est un acteur utile, à défaut d’être en réussite ?

Cependant, le seul fait de se concentrer sur la violence scolaire et la pédagogie ne constitue pas en soit une réponse complète et satisfaisante au problème globale de la violence infantile (qu’elle se manifeste en milieu scolaire ou non). La violence manifestée à l’Ecole par les élèves se trouve également être un prolongement d’une violence ordinaire de plus en plus récurrente dans le cadre familial de l’enfant. Cette dernière n’est donc plus du seul ressort de l’Ecole et de la pédagogie mais se trouve être étroitement liée au manque d’éducation dont sont victimes les enfants d’aujourd’hui. Un certain nombre de parents ont en effet démissionné de leur rôle de primo-éducateur, laissant ainsi leur enfant à l’abandon. Dans ce sens, imaginons le choc que va recevoir l’élève qui, jusqu’avant d’arriver dans cette nouvelle structure sociale qu’est l’école maternelle, n’avait pas été habitué à un cadre structurant dans lequel certains repères (les règles de vie sociale et collective qu’il retrouvera à l’Ecole) (pré-)existaient. Cette distanciation qui existe entre les attentes parentales (aucune dans certaines familles) est parfois tellement forte que l’enfant rentre violemment en conflit avec ceux (maîtresses et maîtres puis professeurs) qui veulent lui imposer ce cadre indispensable à la bonne gestion de la micro-société-classe (pour le confort de tous). Ce manque de repères structurants s’accompagne d’ailleurs souvent du fait que l’enfant n’a pas eu la chance de profiter d’un environnement stimulant[3]. Précisons à ce sujet qu’« il ne faut pas confondre environnement stimulant (ou non-stimulant) et milieu [socialement] favorisé (ou défavorisé). L’accès à la culture (musées gratuits, balades en forêts, jeux de société, lectures, etc.) n’est souvent pas une question d’argent mais de temps à consacrer à ses enfants. Certains parents éprouvant des difficultés d’accès à cette culture doivent être aidés afin que leurs enfants entrent dans leur scolarité dans de bonnes conditions. [4]» Ajoutons également qu’il n’est pas non plus question de rejeter ici la faute sur les familles afin de dédouaner l’Ecole d’un problème duquel elle a aussi sa part de responsabilité, tant dans le fait qu’elle contribue à favoriser le terreau sur lequel nait la violence (on l’a vu plus haut) que dans le sens où elle doit tout mettre en œuvre afin de l’enrayer. La question de la violence scolaire est intimement liée à celle de la violence familiale, elle-même conséquence d’une éducation défaillante reçue par les enfants dès leur plus jeune âge.

Si l’on remet tout ce qui vient d’être dit dans une même perspective, il est donc important que, dans notre volonté de « combattre » la violence (et l’échec) scolaire, nous prenions le problème de manière globale : socio-politique d’abord puis scolaire-familial ensuite. Du premier niveau, il est important de se questionner sur la pression que les politiques favorisant l’individualisme et la compétitivité (par l’évaluation des uns contre les autres) font subir à ceux qui les reçoivent (subissent ?) : les enseignants pris dans le souci constant de respecter à la lettre les attentes de leur hiérarchie d’une part et les parents qui, rencontrant de nombreux problèmes dans leur vie sociale (les petites violences du quotidien) et professionnelle (le stress de garder ou trouver un emploi par exemple), démissionnent de leur rôle de premier éducateur. Au second niveau, il faut s’interroger sur la mission de l’Ecole afin de permettre une certaine souplesse (ce qui ne veut pas dire un manque d’exigence quant aux enseignements) dans les attentes que l’on fait peser sur ses acteurs. Il faut également réinterroger la place de l’Ecole dans le contexte de la société afin d’instaurer un lien plus fort entre les différents éducateurs que sont les parents et les enseignants[5].

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