De par ma double casquette professionnelle (enseignant
initialement formé à la psychologie), je me suis souvent posé la question de l’origine
de la violence. En effet, comment certaines personnes en arrivent à un point de
non retour au-delà duquel il ne leur est plus possible de se contenir et passent
à des actes de violence (physique ou morale) ? Longtemps, je me suis contenté
de la réponse combinant langage et éducation. Dans ce sens, on peut résumer
cette position par le fait que certaines personnes n’arrivant pas à mettre de
mots sur leurs émotions s’expriment alors par le corps pour se faire entendre,
une sorte d’implosion qui s’extériose. Ceci se joue donc au niveau de l’éducation,
au temps de l’enfance. La réponse m’est apparue en partie convaincante mais
laissait un pan de la question initiale sans solution : on explique ainsi
la violence « ordinaire » et localisée (bagarre, petites agressions,
etc.) mais on n’explique pas l’origine de la violence « extrême »
généralisée, de la cruauté dans ce qu’elle a de plus lointain et viscéral :
le meurtre d’un autre Homme généralisé à l’échelle d’un monde.
Toujours dans ma quête de réponse, je me suis
donc intéressé aux origines de l’Homme en me disant que j’y trouverais
peut-être une réponse à l’origine de la violence humaine. Si l’on en croit les
travaux d’odontologie archéologique, il semblerait que nos lointains ancêtres
aient d’abord été des mangeurs de fruits et de tubercules. Cela ne semble pas
surprenant si l’on regarde de plus près l’alimentation de nos « cousins »
primates. Cela veut donc dire qu’originellement les premiers Hommes n’avaient pas
encore goûté le premier meurtre, celui du premier animal tué. Il y a donc eu un
acte originel à la violence, celui sur lequel Plutarque s’interrogeait déjà en
son temps[1] :
Tu me demandes
pour quelle raison Pythagore s'abstenait de manger de la chair. Moi, au
contraire, je m'étonne : quelles affections, quel courage ou quels motifs
firent autrefois agir l'homme qui, le premier, approcha de sa bouche une chair
meurtrie, qui osa toucher de ses lèvres la chair d'une bête morte, servit à sa
table des corps morts, et pour ainsi dire, des idoles, et fit de la viande et
sa nourriture de membres d'animaux qui peu auparavant, bêlaient, mugissaient,
marchaient et voyaient ? Comment ses yeux purent-ils souffrir de voir un
meurtre ? De voir tuer ? Ecorcher, démembrer une pauvre bête ? Comment son
odorat' put-il en supporter l'odeur ? Comment son goût ne fut-il pas dégoûté
d'horreur, quand il vint à manier l'ordure des blessures, à recevoir le sang et
le suc' sortant des plaies mortelles d'autrui ?
De là, je me suis demandé par quels
glissements, l’Homme, après s’être accommodé du meurtre d’un être-vivant, en
était arrivé au meurtre de ses semblables. Passant ici sur mes investigations,
je dirai juste que je me suis aperçu que de nombreux auteurs en étaient arrivés
aux mêmes conclusions que moi. Voici donc, en guise d’exemples, quelques
citations qui en diront bien plus et auront plus de poids qu’un long discours
de ma part.
Les problèmes posés par les préjugés raciaux
reflètent à l’échelle humaine un problème beaucoup plus vaste et dont la
solution est encore plus urgente : celui des rapports de l’homme avec les
autres espèces vivantes… Le respect que nous souhaitons obtenir de l’homme
envers ses semblables n’est qu’un cas particulier du respect qu’il faudrait
ressentir pour toutes les formes de vie… (Claude Levi-Strauss)
Si la cruauté s'est tant exercée contre
l'homme, c'est trop souvent qu'elle s'était fait la main sur les animaux. On aurait
moins accepté les wagons plombés roulants vers les camps de concentration si on
n'avait accepté sans même y songer la souffrance des bêtes dans les fourgons
menant aux abattoirs. Tout homme qui chasse se prépare à la guerre.
(Margueritte Yourcenar)
La possibilité des pogroms est déjà présente
quand on regarde dans les yeux un animal qu’on va tuer en se disant que ce
n’est qu’un animal. (Elisabeth de Fontenay)
Le temps viendra où les hommes, comme moi,
regarderont le meurtre des animaux comme ils regardent maintenant le meurtre de
leurs semblables. (Léonard de Vinci)
On constate ainsi que de nombreux penseurs de
tout temps et de tout pays en sont également arrivés au lien explicite qui
existe entre la violence humaine et la violence faite aux animaux. Cela permet ainsi
d’expliquer bien des violences : du meurtre de l’animal à celui de l’Homme,
de la cruauté envers l’animal à celle envers les Hommes, de la soumission des animaux
à la soumission de certaines « races » humaines, etc. On explique
également la violence infantile. Si l’enfant reçoit comme éducation celle du
respect de la vie sous toutes ses formes, il s’habituera et saura ainsi, par
exemple, qu’il respecte le chat de manière gratuite sans rien attendre en retour.
Il s’habituera donc à respecter ses semblables sans rien attendre en retour,
juste par respect de l’Autre et de la vie. Par contre, qu’en est-il si on l’autorise,
si on l’incite, si on valide devant lui la violence faite à la vie. N’introduit-on
pas là les prémices d’une autorisation à la violence généralisée ? N’ouvre-t-on
pas la boîte de Pandore de la violence ?
Et n’est-ce pas là ce qu’on fait les hauts conseillers
en choisissant de maintenir la corrida, une tradition au sein de laquelle on
valide l’acte de tuer ? Ceci étant dit, fallait-il attendre autre chose de
personnes dont l’unique préoccupation est leur propre personne, leur propre
profit ? Etait-ce à eux, comme à une grande partie de la classe politique,
qu’il fallait s’en remettre pour statuer sur une question de morale aussi
importante et dont il fallait avoir assez de « sagesse » pour bien en
voir la large portée ? Bien sûr que non ! Ne les appelle-t-on pas des
« Sages » parce qu’ils sont les garants d’un certain immobilisme, de
la conservation d’une vision libérale et anthropocentrée ? Je me pose
alors la question de savoir ce qu’il en serait advenu de l’abolition de l’esclavage
et de la déclaration des droits de l’Homme si les Rousseau, Voltaire et autres
Victor Hugo avaient été des Nicolas Sarkozy, des François Hollande ou des Jean-Louis
Debré.
Le souci de ces derniers de ne pas froisser
leurs comparses amateurs de violence (chasse, corrida, etc.) est antinomique à
l’idée d’une vraie sagesse, capacité à bien discerner le bien du mal. Embourbés
dans leurs conflits d’intérêt personnel, ils n’ont pas réussi à penser de
manière rationnelle et globale, en faisant le lien, que de nombreux grands
Hommes ont fait avant eux et depuis longtemps, entre violence faite à l’animal
et violence faite aux Hommes. Au lieu de cela, ils ont entériné l’ode à la
violence inhérente à la corrida, et par voie de conséquence toutes les
violences faites aux animaux, au vivant, et à l’Homme. Sans s’en rendre compte
ils ont cautionné la violence dans une société déjà bien malade ou le respect
et la tolérance s’effondrent. De manière claire, ils viennent de contribuer un
peu plus à la fragilité de l’équilibre du pays en cautionnant des inégalités
suivant les régions et en permettant d’aller assister à un spectacle dans
lequel on se nourrit de violence. N’est-ce pas là aussi contradictoire avec la
mise en cause qui est souvent faite avec les jeux vidéo ? Un enfant qui
joue avec des jeux vidéo dits violents (dans lequel les personnages ne sont que
des avatars et pour lesquels il y a distanciation) peut devenir lui-même violent
mais ce n’est plus le cas s’il assiste ou voit en vrai un spectacle dans lequel
un vrai être-vivant est vraiment torturé puis vraiment tué …
Retenons de cet évènement que, grâce à deux
associations en particulier (mais aussi aux autres) et à de nombreux bénévoles
qui ont compris qu’une vie en vaut une autre (que l’on soit noir, blanc, poilu,
avec ou sans cornes), l’attention de l’opinion public a été attiré sur un
paradoxe : légitimer d’un côté la violence faite aux animaux tout en
concevant, parallèlement à cela, un observatoire de la violence scolaire. Il y
a donc bien du vent dans ce que l’on nous raconte. Quant aux sages, ils ont,
comme les politiques en général, perdu définitivement mon respect et ma
croyance en eux pour être les garants de la justice, de la morale et de l’humanisme
… Le combat pour la vie va continuer et la seconde Révolution, celle qui verra
l’avènement des droits de l’animal, est en route …
Article lié : Contre-argumentaire aux "50 raisons de défendre la corrida" de Wollf
[1] S’il est
loisible de manger chair, Plutarque, traduction Amyot, 1678, adaptée par
Baudoin-Matuszek, 1992
Merci pour ce très bon, beau et juste texte.
RépondreSupprimerMerci pour cette juste analyse que je partage, hélas dirais-je.
RépondreSupprimerUn fossé se creuse de plus en plus entre la classe "dirigeante", frileuse, ne pensant qu'à ses propres intérêts et l'opinion publique. Mais soyons optimistes, réalistes, ce siècle verra sans doute, nous l'espérons, un boulversement qui fera que l'homme prendra conscience qu'il partage la nature qui ne lui appartient pas et qu'il ne peut l'agrémenter à sa guise.
Fanny Pitrel
Bel argumentaire fondé sur l'idée de sagesse.
RépondreSupprimerMerci.
Votre post est tout simplement parfait ! Merci pour votre clairvoyance.
RépondreSupprimer2 mots : Bravo et Merci !
RépondreSupprimerYvette SOUILLART