Dans son article publié sur le Huffington
Post et intitulé « Face à la violence scolaire, la pédagogie ? »[1],
Béatrice Mabilon-Bonfils (sociologue à l’Université de Cergy-Pontoise) se
propose, en réaction aux nombreux cas d’agressions recensés en ce début d’année
scolaire, de répondre aux questions suivantes : « peut-on penser les
violences scolaires sans questionner à la fois les inégalités scolaires
(sociales, sexuelles, ethniques, culturelles) ? Peut-on penser les violences
scolaires sans questionner les modalités de transmission des savoirs et de
relations à l'autre que notre école valorise par son fonctionnement même ? »
Au sein de l’analyse que cette professeure
d’Université apporte, l’accent est mis sur le paradoxe au cœur duquel l’Ecole
est embourbée, de par le pilotage administratif même auquel elle est soumise.
En effet, alors que les programmes scolaires visent à faire acquérir aux élèves
« la solidarité, l'entraide, l'égalité, la coopération, l'intérêt général,
l'acceptation de l'Autre », le pilotage libéral et « évaluationniste »
de l’Ecole pousse les enseignants à utiliser la compétition individuelle, à encourager
la réussite individuelle, à pratiquer l'évaluation à outrance, à hiérarchiser
les élèves, les séries, les établissements, à accepter la ségrégation, parfois
l'humiliation, le rejet de l'altérité. Il est ainsi évident qu’un milieu dans
lequel on incite à la violence morale et psychologique contre l’Autre ne peut
que favoriser, à terme, l’explosion de violence physique à laquelle on assiste
en ce moment. Cela concerne d’ailleurs autant l’enseignant que ses élèves. On
retrouve ce constat dans l’article du Nouvel Observateur intitulé « L'école
française, une "fabrique de défiance" ? [2]»
(Patrick Fauconnier). Il est notamment dit que « l’école française est une
machine à trier, classer et diviser, ce qui en fait un milieu anxiogène où
l’élève a sans cesse peur de ne pas être à la hauteur par rapport aux autres.
Au sein des 40 pays de l’OCDE, c’est en France que les élèves se sentent le
moins « chez eux » à l’école. » Comment pourrait-il en être autrement
alors que les enseignants eux-mêmes, de peur de ne pas être à la hauteur des
attentes de leurs supérieurs hiérarchiques, se sentent mal-à-l’aise dans leur
milieu professionnel, pris dans le paradoxe d’une envie d’innover, de pratiquer
des pédagogies incitant au travail de groupe, de coopération, de prise en
compte des individualités, d’une part, se heurtant à la réalité administrative,
d’autre part : respecter le carcan imposé par les inspections, ne pas
sortir du cadre des programmes scolaires, etc. Il est donc vrai que cette
pression qui pèse sur les enseignants se répercute inéluctablement sur leurs
élèves, conduisant les plus fragiles, scolairement parlant, à être mis en marge
du système. De là, les dérives que l’on connaît, et qui font tristement la une
des journaux ces derniers temps, deviennent possible. Aurait-on envie de faire
violemment part de sa colère dans un système au sein duquel on se sent bien, au
sein duquel on est un acteur utile, à défaut d’être en réussite ?
Cependant, le seul fait de se concentrer sur
la violence scolaire et la pédagogie ne constitue pas en soit une réponse
complète et satisfaisante au problème globale de la violence infantile (qu’elle
se manifeste en milieu scolaire ou non). La violence manifestée à l’Ecole par
les élèves se trouve également être un prolongement d’une violence ordinaire de
plus en plus récurrente dans le cadre familial de l’enfant. Cette dernière
n’est donc plus du seul ressort de l’Ecole et de la pédagogie mais se trouve être
étroitement liée au manque d’éducation dont sont victimes les enfants
d’aujourd’hui. Un certain nombre de parents ont en effet démissionné de leur
rôle de primo-éducateur, laissant ainsi leur enfant à l’abandon. Dans ce sens,
imaginons le choc que va recevoir l’élève qui, jusqu’avant d’arriver dans cette
nouvelle structure sociale qu’est l’école maternelle, n’avait pas été habitué à
un cadre structurant dans lequel certains repères (les règles de vie sociale et
collective qu’il retrouvera à l’Ecole) (pré-)existaient. Cette distanciation
qui existe entre les attentes parentales (aucune dans certaines familles) est
parfois tellement forte que l’enfant rentre violemment en conflit avec ceux
(maîtresses et maîtres puis professeurs) qui veulent lui imposer ce cadre
indispensable à la bonne gestion de la micro-société-classe (pour le confort de
tous). Ce manque de repères structurants s’accompagne d’ailleurs souvent du
fait que l’enfant n’a pas eu la chance de profiter d’un environnement stimulant[3].
Précisons à ce sujet qu’« il ne faut pas confondre environnement stimulant
(ou non-stimulant) et milieu [socialement] favorisé (ou défavorisé). L’accès à
la culture (musées gratuits, balades en forêts, jeux de société, lectures,
etc.) n’est souvent pas une question d’argent mais de temps à consacrer à ses
enfants. Certains parents éprouvant des difficultés d’accès à cette culture
doivent être aidés afin que leurs enfants entrent dans leur scolarité dans de
bonnes conditions. [4]»
Ajoutons également qu’il n’est pas non plus question de rejeter ici la faute
sur les familles afin de dédouaner l’Ecole d’un problème duquel elle a aussi sa
part de responsabilité, tant dans le fait qu’elle contribue à favoriser le
terreau sur lequel nait la violence (on l’a vu plus haut) que dans le sens où
elle doit tout mettre en œuvre afin de l’enrayer. La question de la violence scolaire
est intimement liée à celle de la violence familiale, elle-même conséquence
d’une éducation défaillante reçue par les enfants dès leur plus jeune âge.
Si l’on remet tout ce qui vient d’être dit
dans une même perspective, il est donc important que, dans notre volonté de
« combattre » la violence (et l’échec) scolaire, nous prenions le
problème de manière globale : socio-politique d’abord puis
scolaire-familial ensuite. Du premier niveau, il est important de se
questionner sur la pression que les politiques favorisant l’individualisme et
la compétitivité (par l’évaluation des uns contre les autres) font subir à ceux
qui les reçoivent (subissent ?) : les enseignants pris dans le souci
constant de respecter à la lettre les attentes de leur hiérarchie d’une part et
les parents qui, rencontrant de nombreux problèmes dans leur vie sociale (les
petites violences du quotidien) et professionnelle (le stress de garder ou
trouver un emploi par exemple), démissionnent de leur rôle de premier
éducateur. Au second niveau, il faut s’interroger sur la mission de l’Ecole
afin de permettre une certaine souplesse (ce qui ne veut pas dire un manque d’exigence
quant aux enseignements) dans les attentes que l’on fait peser sur ses acteurs.
Il faut également réinterroger la place de l’Ecole dans le contexte de la
société afin d’instaurer un lien plus fort entre les différents éducateurs que
sont les parents et les enseignants[5].
[3] De
l'importance d'un environnement stimulant précoce : http://jtresse-psy.blogspot.fr/2012/07/de-limportance-dun-environnement.html
[4] Problématique
de l’échec scolaire : du milieu (favorisé / défavorisé) à l’environnement
(stimulant ou non) … : http://jtresse-psy.blogspot.fr/2012/06/problematique-de-lechec-scolaire-du.html
[5] De la
rénovation de l’Ecole : http://jtresse-psy.blogspot.fr/2012/05/de-la-renovation-de-lecole.html
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