« Toute
façon, chui nul. », « Chai pas lire, c'est ma maman qui le
dit. », « Ah! Ah! Ah! Y sait pas. », « Je sais qu'chui
nul. », « C'est trop dur, j'y arriverai jamais ». Tous ces
exemples de paroles prononcées peuvent laisser deviner un certain mal-être, ce
qui peut sembler difficile lorsque l'on connaît l'importance du fait d'être
fier de soi pour vivre mieux. Mais, il apparaît que le plus troublant dans ces
déclarations, c'est le fait que toutes aient été prononcées par des enfants de
moins de 10 ans et que toutes aient été prononcées dans une salle de classe, à
des niveaux et à des endroits différents (zone rurale, zone périurbaine, grande
ville). Le premier constat que l'on peut ainsi effectuer est que la mauvaise
image de soi peut toucher n'importe qui, n'importe où. Ce n'est donc pas un
phénomène isolé et marginal. Le second constat que l'on peut faire à partir de
ces phrases, c'est que trois sont liées à l'image qui est renvoyée à l'enfant
par une tierce personne. Elle peut faire partie du cadre familial, ce peut être
un camarade ou tout simplement l'enseignant. Dans ce sens, cet article vise à
démontrer l’importance du regard de l’autre dans la « fabrication »
de sa propre estime de soi et donc du rôle prégnant de l’école dans ce domaine.
A . Que sait-on au
sujet de l'estime de soi ?
Lorsque l'on aborde le sujet de l'estime de soi, il est facile de
faire l'amalgame entre une multitude de termes plus ou moins synonymes. Ainsi,
parle-t-on de perception de soi, de concept de soi, de représentation de soi ou
d'image de soi. Cette liste
non exhaustive, rend plus complexe la compréhension du phénomène. C'est
pourquoi, il semble bon de faire le point :
ü
La perception de soi met davantage l'accent sur l'aspect sensoriel
: on se perçoit visuellement, kinesthésiquement, etc ....
ü
Le concept de soi, utilisé essentiellement par les auteurs
anglophones (self concept) et issu du cognitivisme, tend à faire du Moi un
objet de connaissance, c'est-à-dire un objet construit donc plus facile à
étudier mais moins fidèle à la réalité.
ü
La représentation de soi est ce que l'évocation donne à revoir de
la perception, dans l'espace psychique interne, en l'absence actuelle de
l'objet évoqué. A cela s'ajoute un second sens lié au monde du spectacle :
donner une représentation, c'est-à-dire jouer un rôle. Ici la perception que
l'on a de soi est faussée par le fait que l'on joue un rôle (Perron, 1991).
ü
L'image de soi est l'ensemble des idées qu'un individu a sur
lui-même, y compris son rôle social ses traits de caractères et son corps
(Argyle, 1994).
ü
L'estime de soi est majoritairement définie comme la valeur qu'un
individu s'attribue, s'accorde (Rosenberg, André,
Marsollier).
Jendoubi
est même plus précise car elle définit l'estime de soi comme l'évaluation
globale de la valeur de soi en tant que personne.
Cette définition met en évidence un point important de
l'estime de soi. En effet, elle nous apprend que cette dernière est un concept
à facettes multiples car il n'existe pas une estime de soi mais plusieurs
estimes de soi spécifiques à un domaine. Ainsi l'estime de soi va être
dépendante de l'opinion que le sujet a du domaine dans lequel il s'évalue. Par
conséquent, plus il accordera d'importance au domaine dans lequel il s'évalue
plus l'estime de soi dans ce domaine aura du poids dans la construction de
l'estime de soi globale, et inversement.
Il semble également important de préciser que, comme le
signale Marsollier, l'estime de soi va dépendre du regard que l'on se porte
mais aussi (et surtout) de la perception que nous avons du regard des autres
sur nous-mêmes.
L'estime de soi est aussi multiple pour une seconde
raison. Effectivement, la lecture d'un article écrit par Christophe André nous
apprend que l'estime de soi repose sur trois ingrédients :
v
la confiance en soi,
v
l'amour de soi,
v
la vision de soi,
et qu'elle recouvre souvent
cinq dimensions :
v
l'aspect physique : « est-ce que je plais aux autres ? »
v
la réussite scolaire : « suis-je bon élève ? »
v
les compétences athlétiques : « est-ce que je suis fort, ...
? »
v
la conformité comportementale : « les adultes
m'apprécient-ils ? »
v
la popularité : « est-ce qu'on m'aime bien ? ».
On s'aperçoit que sur ces
cinq dimensions trois dépendent du regard des autres.
Pour aller dans le même sens que cette dernière remarque,
même si William James définissait l'estime de soi comme la conscience de la
valeur du Moi et en faisait donc un mécanisme uniquement intrapersonnel et
intrapsychique, Codey a démontré l'importance du rôle du regard des autres dans
la construction de l'image que l'on a de soi. Aujourd'hui, une grande partie de
la communauté scientifique s'accorde sur le fait que l'estime de soi résulte de
la construction psychique et du produit de l'activité cognitive et sociale.
L'estime de soi est donc un processus complexe qui
résulte des multiples images que l'on a de soi dans divers domaines spécifiques
et qui dépend aussi de la perception que l'on a du regard des autres vis-à-vis
de nous-mêmes. Ce dernier point est renforcé si l'on étudie le
« développement » de l'estime de soi chez l'enfant.
B . La construction de l'estime de soi chez
l'enfant :
Sur ce point, les travaux de Verena Jendoubi
permettent de mettre en évidence un certain nombre de connaissances.
Tout d'abord pendant les premières années de sa vie,
l'enfant dépend entièrement du jugement de ses parents. Il se sent comme il
pense que ses parents le voient. Le point de départ de la construction de
l'estime de soi repose donc sur les premiers liens que le nourrisson établit
avec sa mère, son père ou toute autre personne qui s'occupe régulièrement de
lui (théorie de l'attachement de Bowlby).
Ensuite à partir de 3 / 4 ans, le monde social de
l'enfant s'élargit. C'est à ce moment-là que d'autres adultes (notamment ceux
de la crèche et / ou de l'école) vont influencer l'estime de soi de l'enfant.
D'autant plus que cet âge correspond au moment où il commence à se préoccuper
de son acceptation sociale.
Enfin à partir de 8 ans, il devient capable de conceptualiser
une représentation de soi au plan cognitif. C'est ainsi qu'il peut accéder à
une représentation psychologique globale de lui-même.
Pour résumer cette présentation succincte du
développement de l'estime de soi chez l'enfant, on peut reprendre une phrase de
Christophe Marsollier
disant que « l'estime de soi se construit dès l'enfance dans l'ensemble
des relations sociales vécues et plus particulièrement celles vécues dans le
cadre familial ou dans le cadre scolaire. »
Comme la définition de l'estime de soi le laissait
entrevoir, le regard que les autres ont sur nous et la valeur qu'on lui
attribue influencent fortement la façon dont nous nous considérons. C'est
pourquoi, il semble impossible d'agir sur l'image que les élèves ont
d'eux-mêmes sans intervenir sur la relation entre élèves.
C . L'importance de la reconnaissance de soi par
autrui :
Comme le signale très justement Christophe André,
« l'estime de soi est aujourd'hui considérée comme une nécessité pour
survivre dans une société de plus en plus compétitive. » En effet, notre
société révèle plus que jamais le besoin qu'a chacun d'être regardé. Car c'est
dans le regard des autres que l'individu trouve la confirmation de son
existence. On perçoit ainsi que le fait de se positionner par rapport à son
entourage est un mécanisme fondamental de l'ajustement de l'estime de soi.
Cette dernière est un concept qui s'étend au delà du domaine scolaire. Il en
est donc ainsi dans la société mais aussi à l'école, qui est de fait une
microsociété.
Dans ce sens, une étude de Harter menée dans une école
américaine et rapportée par Delphine Martinot
indique que les interactions avec autrui (et plus spécifiquement entre
camarades de classe) sont constitutives des conceptions de réussite de soi.
Ainsi, les comparaisons entre les « bons » et les
« mauvais » élèves sont menaçantes pour ces derniers. Car la
comparaison avec des « bons » élèves renvoie aux élèves en difficulté
une image dégradée d'eux-mêmes. Une autre étude de Pierrehumbert & coll.
(1988), rapportée par Verena Jendoubi, montre que les élèves suivant un cursus
spécialisé sont davantage satisfaits d'eux-mêmes que les « mauvais »
élèves de filière normale. Ces résultats s'expliquent par le fait que dans les
classes spécialisées les élèves sont plus souvent valorisés et félicités pour
leur réussite. Ils s'expliquent aussi
par l'importance, pour l'estime de soi, de la situation d'un sujet dans
un groupe et de la confrontation aux autres.
On déduit de ces exemples qu'il peut exister un biais
dangereux pour les élèves dévalorisés par la société, par le système et donc
par l'école. La solution réside dans le fait de se revaloriser en formant un
groupe dont la valeur bien que dépréciée par l'école n'ait que peu d'importance
pourvu que chacun soit respecté par les autres membres du groupe. On peut
expliquer ainsi la formation de groupes d'élèves perturbateurs dans les
classes.
Ces exemples illustrent parfaitement le fait que les
comparaisons de l'autre à soi-même sont permanentes de même que les dangers de
laisser les élèves dégrader l'image qu'ils ont d'eux pour quelque raison que ce
soit. De plus, l'importance du rapport aux autres dans la construction de
l'image de soi permet de mieux entrevoir l'importance et les enjeux de l'école
dans ce domaine. En effet comme l'illustrent ces exemples, les interactions
entre élèves, si différentes soient-elles, vont déterminer l'image de soi de
chacun. Il est donc nécessaire de préciser le rôle de l'école et plus
spécifiquement de l'enseignant dans la construction de l'estime de soi par
l'élève.
D . L'école, l'enseignant et l'estime de soi :
Un constat non négligeable apparaît dans une interview au cours de
laquelle Jean-François Vincent
reprend des propos d'Etienne Vellas (de l'université de Genève) : « Tout
système scolaire qui sélectionne, de manière déclarée ou pas, fait assumer aux
élèves la responsabilité de leur échec, et finit par leur faire croire qu'ils
ne valent rien. » En effet l'école évalue, et comme nous l'avons vu plus
haut elle évalue pendant une période cruciale pour le développement de la
personne. Elle a donc un rôle fondamental et une influence considérable sur
l'image que l'individu se construit. C'est parce que « la confiance en soi
est sans doute ce qu'il y a de plus précieux chez l'élève » (Christophe
Marsollier)
que l'école, en tant que système évaluatif et premier cadre social réel de la
vie de l'enfant, doit être vigilante en ce qui concerne la construction d'une
image de soi par l'individu.
L'enseignant doit donc prendre en compte cette donnée
pour répondre à deux besoins qui animent tout individu :
ü
le besoin affectif : besoin d'être apprécié pour ce que l'on fait
/ ce que l'on est,
ü
le besoin social : besoin de reconnaissance par les autres.
La non prise en compte de ces besoins peut entraîner un
repli de l'élève face aux savoirs. Une étude réalisée par Christophe André
montre qu'une bonne estime de soi permet à un enfant confronté à des
difficultés d'adopter des stratégies de résolution de problèmes adaptées. Par
opposition à cela, les élèves dont la représentation qu'ils ont d'eux est
fragile peuvent, pour protéger leur intégrité, rejeter la responsabilité de
leur échec en utilisant des stratégies d'évitement, d'indifférence, de
démotivation, .... Ce mécanisme, appelé moyen d'autocomplaisance, ne favorise
pas l'amélioration de l'image de soi. Ceci nous renseigne sur un nouveau point
très important : il existe un lien fort entre estime de soi, motivation et
réussite. L'existence de ce lien renforce encore une fois l'idée que l'école a
tout intérêt à prendre en compte « l'apprentissage de soi » afin
d'améliorer les conditions d'entrée dans les apprentissages des compétences. En
d'autres termes, il s'agit de répondre à la problématique : « Comment
apprendre si l'on ne s'en sent pas soi-même capable ? » Il apparaissait
donc important, à l’heure où la concentration des réflexions s’oriente vers les
usages pédagogiques du numérique, de ne pas perdre de vue et de rappeler ce
simple fait.
« Estime de soi et
éducation scolaire », Verena Jendoubi.
Christophe André intitulé
« L'estime de soi au quotidien ».
« Créer une véritable relation
pédagogique : ingrédients pour la réussite scolaire », Christophe
Marsollier.
« Connaissance de soi et
estime de soi : ingrédients pour la réussite scolaire », Delphine Martinot
Christian Lorinquer intitulé
« L'estime de soi et des autres »