mardi 25 février 2014

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« Mais alors dit Alice, si le monde n'a absolument aucun sens, qui nous empêche d'en inventer un ? »

Lewis CarrollAlice in Wonderland










Ecole et estime de soi

 


 « Toute façon, chui nul. », « Chai pas lire, c'est ma maman qui le dit. », « Ah! Ah! Ah! Y sait pas. », « Je sais qu'chui nul. », « C'est trop dur, j'y arriverai jamais ». Tous ces exemples de paroles prononcées peuvent laisser deviner un certain mal-être, ce qui peut sembler difficile lorsque l'on connaît l'importance du fait d'être fier de soi pour vivre mieux. Mais, il apparaît que le plus troublant dans ces déclarations, c'est le fait que toutes aient été prononcées par des enfants de moins de 10 ans et que toutes aient été prononcées dans une salle de classe, à des niveaux et à des endroits différents (zone rurale, zone périurbaine, grande ville). Le premier constat que l'on peut ainsi effectuer est que la mauvaise image de soi peut toucher n'importe qui, n'importe où. Ce n'est donc pas un phénomène isolé et marginal. Le second constat que l'on peut faire à partir de ces phrases, c'est que trois sont liées à l'image qui est renvoyée à l'enfant par une tierce personne. Elle peut faire partie du cadre familial, ce peut être un camarade ou tout simplement l'enseignant. Dans ce sens, cet article vise à démontrer l’importance du regard de l’autre dans la « fabrication » de sa propre estime de soi et donc du rôle prégnant de l’école dans ce domaine.

A . Que sait-on au sujet de l'estime de soi ?
           
            Lorsque l'on aborde le sujet de l'estime de soi, il est facile de faire l'amalgame entre une multitude de termes plus ou moins synonymes. Ainsi, parle-t-on de perception de soi, de concept de soi, de représentation de soi ou d'image de soi. Cette liste[1] non exhaustive, rend plus complexe la compréhension du phénomène. C'est pourquoi, il semble bon de faire le point :
ü  La perception de soi met davantage l'accent sur l'aspect sensoriel : on se perçoit visuellement, kinesthésiquement, etc ....
ü  Le concept de soi, utilisé essentiellement par les auteurs anglophones (self concept) et issu du cognitivisme, tend à faire du Moi un objet de connaissance, c'est-à-dire un objet construit donc plus facile à étudier mais moins fidèle à la réalité.
ü  La représentation de soi est ce que l'évocation donne à revoir de la perception, dans l'espace psychique interne, en l'absence actuelle de l'objet évoqué. A cela s'ajoute un second sens lié au monde du spectacle : donner une représentation, c'est-à-dire jouer un rôle. Ici la perception que l'on a de soi est faussée par le fait que l'on joue un rôle (Perron, 1991).
ü  L'image de soi est l'ensemble des idées qu'un individu a sur lui-même, y compris son rôle social ses traits de caractères et son corps (Argyle, 1994).
ü  L'estime de soi est majoritairement définie comme la valeur qu'un individu s'attribue, s'accorde (Rosenberg, André[2], Marsollier[3]). Jendoubi[4] est même plus précise car elle définit l'estime de soi comme l'évaluation globale de la valeur de soi en tant que personne.

            Cette définition met en évidence un point important de l'estime de soi. En effet, elle nous apprend que cette dernière est un concept à facettes multiples car il n'existe pas une estime de soi mais plusieurs estimes de soi spécifiques à un domaine. Ainsi l'estime de soi va être dépendante de l'opinion que le sujet a du domaine dans lequel il s'évalue. Par conséquent, plus il accordera d'importance au domaine dans lequel il s'évalue plus l'estime de soi dans ce domaine aura du poids dans la construction de l'estime de soi globale, et inversement.
            Il semble également important de préciser que, comme le signale Marsollier, l'estime de soi va dépendre du regard que l'on se porte mais aussi (et surtout) de la perception que nous avons du regard des autres sur nous-mêmes.

            L'estime de soi est aussi multiple pour une seconde raison. Effectivement, la lecture d'un article écrit par Christophe André nous apprend que l'estime de soi repose sur trois ingrédients :
v  la confiance en soi,
v  l'amour de soi,
v  la vision de soi,
et qu'elle recouvre souvent cinq dimensions :
v  l'aspect physique : « est-ce que je plais aux autres ? »
v  la réussite scolaire : « suis-je bon élève ? »
v  les compétences athlétiques : « est-ce que je suis fort, ... ? »
v  la conformité comportementale : « les adultes m'apprécient-ils ? »
v  la popularité : « est-ce qu'on m'aime bien ? ».

On s'aperçoit que sur ces cinq dimensions trois dépendent du regard des autres.

            Pour aller dans le même sens que cette dernière remarque, même si William James définissait l'estime de soi comme la conscience de la valeur du Moi et en faisait donc un mécanisme uniquement intrapersonnel et intrapsychique, Codey a démontré l'importance du rôle du regard des autres dans la construction de l'image que l'on a de soi. Aujourd'hui, une grande partie de la communauté scientifique s'accorde sur le fait que l'estime de soi résulte de la construction psychique et du produit de l'activité cognitive et sociale.
            L'estime de soi est donc un processus complexe qui résulte des multiples images que l'on a de soi dans divers domaines spécifiques et qui dépend aussi de la perception que l'on a du regard des autres vis-à-vis de nous-mêmes. Ce dernier point est renforcé si l'on étudie le « développement » de l'estime de soi chez l'enfant.

            B . La construction de l'estime de soi chez l'enfant :

            Sur ce point, les travaux de Verena Jendoubi[5] permettent de mettre en évidence un certain nombre de connaissances.

            Tout d'abord pendant les premières années de sa vie, l'enfant dépend entièrement du jugement de ses parents. Il se sent comme il pense que ses parents le voient. Le point de départ de la construction de l'estime de soi repose donc sur les premiers liens que le nourrisson établit avec sa mère, son père ou toute autre personne qui s'occupe régulièrement de lui (théorie de l'attachement de Bowlby).
            Ensuite à partir de 3 / 4 ans, le monde social de l'enfant s'élargit. C'est à ce moment-là que d'autres adultes (notamment ceux de la crèche et / ou de l'école) vont influencer l'estime de soi de l'enfant. D'autant plus que cet âge correspond au moment où il commence à se préoccuper de son acceptation sociale.
            Enfin à partir de 8 ans, il devient capable de conceptualiser une représentation de soi au plan cognitif. C'est ainsi qu'il peut accéder à une représentation psychologique globale de lui-même.

            Pour résumer cette présentation succincte du développement de l'estime de soi chez l'enfant, on peut reprendre une phrase de Christophe Marsollier[6] disant que « l'estime de soi se construit dès l'enfance dans l'ensemble des relations sociales vécues et plus particulièrement celles vécues dans le cadre familial ou dans le cadre scolaire. »
            Comme la définition de l'estime de soi le laissait entrevoir, le regard que les autres ont sur nous et la valeur qu'on lui attribue influencent fortement la façon dont nous nous considérons. C'est pourquoi, il semble impossible d'agir sur l'image que les élèves ont d'eux-mêmes sans intervenir sur la relation entre élèves.

            C . L'importance de la reconnaissance de soi par autrui :

            Comme le signale très justement Christophe André[7], « l'estime de soi est aujourd'hui considérée comme une nécessité pour survivre dans une société de plus en plus compétitive. » En effet, notre société révèle plus que jamais le besoin qu'a chacun d'être regardé. Car c'est dans le regard des autres que l'individu trouve la confirmation de son existence. On perçoit ainsi que le fait de se positionner par rapport à son entourage est un mécanisme fondamental de l'ajustement de l'estime de soi. Cette dernière est un concept qui s'étend au delà du domaine scolaire. Il en est donc ainsi dans la société mais aussi à l'école, qui est de fait une microsociété.
            Dans ce sens, une étude de Harter menée dans une école américaine et rapportée par Delphine Martinot[8] indique que les interactions avec autrui (et plus spécifiquement entre camarades de classe) sont constitutives des conceptions de réussite de soi. Ainsi, les comparaisons entre les « bons » et les « mauvais » élèves sont menaçantes pour ces derniers. Car la comparaison avec des « bons » élèves renvoie aux élèves en difficulté une image dégradée d'eux-mêmes. Une autre étude de Pierrehumbert & coll. (1988), rapportée par Verena Jendoubi, montre que les élèves suivant un cursus spécialisé sont davantage satisfaits d'eux-mêmes que les « mauvais » élèves de filière normale. Ces résultats s'expliquent par le fait que dans les classes spécialisées les élèves sont plus souvent valorisés et félicités pour leur réussite. Ils s'expliquent aussi  par l'importance, pour l'estime de soi, de la situation d'un sujet dans un groupe et de la confrontation aux autres.

            On déduit de ces exemples qu'il peut exister un biais dangereux pour les élèves dévalorisés par la société, par le système et donc par l'école. La solution réside dans le fait de se revaloriser en formant un groupe dont la valeur bien que dépréciée par l'école n'ait que peu d'importance pourvu que chacun soit respecté par les autres membres du groupe. On peut expliquer ainsi la formation de groupes d'élèves perturbateurs dans les classes.
            Ces exemples illustrent parfaitement le fait que les comparaisons de l'autre à soi-même sont permanentes de même que les dangers de laisser les élèves dégrader l'image qu'ils ont d'eux pour quelque raison que ce soit. De plus, l'importance du rapport aux autres dans la construction de l'image de soi permet de mieux entrevoir l'importance et les enjeux de l'école dans ce domaine. En effet comme l'illustrent ces exemples, les interactions entre élèves, si différentes soient-elles, vont déterminer l'image de soi de chacun. Il est donc nécessaire de préciser le rôle de l'école et plus spécifiquement de l'enseignant dans la construction de l'estime de soi par l'élève.

            D . L'école, l'enseignant et l'estime de soi :

            Un constat non négligeable apparaît dans une interview au cours de laquelle Jean-François Vincent[9] reprend des propos d'Etienne Vellas (de l'université de Genève) : « Tout système scolaire qui sélectionne, de manière déclarée ou pas, fait assumer aux élèves la responsabilité de leur échec, et finit par leur faire croire qu'ils ne valent rien. » En effet l'école évalue, et comme nous l'avons vu plus haut elle évalue pendant une période cruciale pour le développement de la personne. Elle a donc un rôle fondamental et une influence considérable sur l'image que l'individu se construit. C'est parce que « la confiance en soi est sans doute ce qu'il y a de plus précieux chez l'élève » (Christophe Marsollier[10]) que l'école, en tant que système évaluatif et premier cadre social réel de la vie de l'enfant, doit être vigilante en ce qui concerne la construction d'une image de soi par l'individu.

            L'enseignant doit donc prendre en compte cette donnée pour répondre à deux besoins qui animent tout individu :
ü  le besoin affectif : besoin d'être apprécié pour ce que l'on fait / ce que l'on est,
ü  le besoin social : besoin de reconnaissance par les autres.

            La non prise en compte de ces besoins peut entraîner un repli de l'élève face aux savoirs. Une étude réalisée par Christophe André[11] montre qu'une bonne estime de soi permet à un enfant confronté à des difficultés d'adopter des stratégies de résolution de problèmes adaptées. Par opposition à cela, les élèves dont la représentation qu'ils ont d'eux est fragile peuvent, pour protéger leur intégrité, rejeter la responsabilité de leur échec en utilisant des stratégies d'évitement, d'indifférence, de démotivation, .... Ce mécanisme, appelé moyen d'autocomplaisance, ne favorise pas l'amélioration de l'image de soi. Ceci nous renseigne sur un nouveau point très important : il existe un lien fort entre estime de soi, motivation et réussite. L'existence de ce lien renforce encore une fois l'idée que l'école a tout intérêt à prendre en compte « l'apprentissage de soi » afin d'améliorer les conditions d'entrée dans les apprentissages des compétences. En d'autres termes, il s'agit de répondre à la problématique : « Comment apprendre si l'on ne s'en sent pas soi-même capable ? » Il apparaissait donc important, à l’heure où la concentration des réflexions s’oriente vers les usages pédagogiques du numérique, de ne pas perdre de vue et de rappeler ce simple fait.



[1] « Estime de soi et éducation scolaire », Verena Jendoubi.
[2] Christophe André intitulé « L'estime de soi au quotidien ».
[3] « Créer une véritable relation pédagogique : ingrédients pour la réussite scolaire », Christophe Marsollier.
[4] Opus déjà mentionné.
[5]Opus déjà mentionné
[6]Opus déjà mentionné
[7]Opus déjà mentionné
[8] « Connaissance de soi et estime de soi : ingrédients pour la réussite scolaire », Delphine Martinot
[9] Christian Lorinquer intitulé « L'estime de soi et des autres »
[10]Opus déjà mentionné
[11]Opus déjà mentionné